À l’ombre de la création

Dans cette communication, nous déclinerons les rapports complexes entretenus par l’ombre et la lumière, leur dialectique scandant la trajectoire de l’artiste. Nous proposons plusieurs acceptions à l’ombre : la chute et le trauma. Tous deux nous sont apparus comme des destins paradigmatiques de l’artiste. Nous avons tout d’abord choisi de nous intéresser à la chute du danseur illustre Nijinski (1889-1950) dont le talent, les performances et le jeu d’interprétation faisaient oublier son incapacité à se confronter au réel et aux exigences de la vie (de l’ombre à la lumière du saut), jusqu’à ce que l’arrêt de la danse coïncide avec la décompensation sur un mode psychiatrique (de la lumière à l’ombre). Son mariage précipité avec une de ses adoratrices met fin à sa relation passionnelle, soutenante sous bien des aspects, avec son mentor et amant Diaghilev. L’abandon de ses performances, qui rassemblait les morceaux épars de son identité, en fait le pantin de la folie, après avoir été un personnage de scène éblouissant les foules. Si l’ombre peut se confondre avec la dépersonnalisation comme dans l’exemple de l’identité dissoute de Nijinsky, elle peut prendre les traits de la rencontre traumatique d’où surgit l’exigence de la création comme avec Niki de Saint Phalle (de l’ombre à la lumière sculpturale). L’inceste paternel dont elle a été victime et qu’elle a refoulé pendant de nombreuses années et des douleurs tant morales que physiques ont favorisé sa jetée dans une activité créatrice et une intense productivité. Ses oeuvres restent saturées de fantasmes et de symboles: mères dévoreuses, femmes aux proportions généreuses… Chaque crise physique et psychique galvanise son besoin de création. L’ombre possède alors des effets structurants, faisant advenir de l’impensé, de l’impensable, du non-nommable des formes esthétiques chargées de sens, attestant ce travail d’intégration des évènements ayant jeté leur ombre sur la vie du sujet.