Ombres et peintures lunaires de Carl Gustav Carus

L’ombre et la lune sont deux topoï du romantisme, allemand en particulier. L’éloge romantique de l’ombre succède à l’Aufklärung, au siècle des Lumières. L’histoire de l’ombre vendue de Peter Schlemihl de von Chamisso, les nombreuses peintures de Caspar David Friedrich, privilégiant les lumières transitoires des levers ou couchers de lune et de soleil, la physiognomonie de Lavater et ses silhouettes, sont célèbres. Si l’ombre est à l’origine du dessin selon par Pline l’Ancien, elle a été théorisée par Léonard de Vinci et le clair-obscur atteint son apogée au XVIIe siècle (Rembrandt, Caravaggio), la part de l’ombre humaine, avec son côté fantastique et son inquiétante étrangeté, aboutit au thème du double et de l’inconscient. Carl Gustav Carus (1789-1869), médecin, psychologue, philosophe, naturaliste, peintre, s’est beaucoup intéressé à la lune. Il décrit dans son autobiographie les nombreuses soirées passées à la contempler, au point que certains de ses amis se seraient moqué de lui, en disant qu’il ne peignait que des clairs de lune. Avouant une profonde attirance pour le crépuscule, il reconnaissait trouver dans l’obscurité sa principale source d’inspiration. Il a peint Faust dans son atelier entouré d’ombres écrivant et rêvant, et de nombreux paysages (dont un cimetière avec une lune rousse), établissant des correspondances entre l’atmosphère des états de la nature et la disposition thymique (Stimmung) du contemplateur. Il a écrit un Conte de la lune perdue (die Sage von velorenen Monde) analysant le deuil, la mélancolie, la nostalgie suite à la perte de la lune, à l’aide de nombreuses métaphores, dont celle du « soleil de la nuit », reprenant celle de Novalis décrivant « la lune comme rêve de soleil », et de Joseph Addison définissant « le rêve comme un clair de lune dans le cerveau ». Ombres, lumière lunaire, rêve et inconscient, nourrissent une Schwärmerei, source romantique de la psychanalyse. Freud, dans son analyse de L’Homme au sable (Der Sandman, « tableau nocturne » d’E.T.A. d’Hoffmann) définira l’Unheimliche, l’étrange-familier ou l’inquiétante étrangeté, et fera la lune, lieu de dévoration des yeux des enfants pas sages, une terrifiante planète de la castration.

Auteur
Pascal Pierlot
psychiatre, psychanalyste,
diplômé de l’École du Louvre.

 

Référence
RA006-11
Ombre et Lumière
Journées d’Automne 2014
Catégories
art-thérapie, psychologie, cinéma, musique
Noms propres
Duchamp M., Hergé, Caravage M., Sadoul N.
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