Le clair-obscur, métaphore somptueuse de l’ambiguïté existentielle. Les enseignements du Caravage

Loin de se réduire à une emphase esthétisante, encore moins d’annoncer une tendance ou pire une mode, l’avènement puis l’apothéose du clair-obscur dans l’univers pictural correspond à une lame de fond à valeur de révolution copernicienne qui remet radicalement en question une vision du monde et de soi, précisément qui déloge l’Homme de son adéquation lisse à ses milieux et origines idylliques pour suggérer la potentialité déchirée et instable d’un moi précaire au sein d’un monde devenu opaque et problématique. La démarche introspective du Caravage, impitoyablement réflexive dans tous les sens du terme, s’expose ainsi au risque vital d’élucidation partielle et provisoire d’un tel ténébreux cataclysme.
Dans son œuvre, l’usage du clair-obscur n’actualise qu’une de ses métaphores parmi un groupe d’influences combinées dont nous décrirons les composantes, les interactions et la cohérence ainsi que les grandes lignes de mutations successives en suivant les étapes et les moments décisifs de son fil rouge, d’une insistance opiniâtre malgré ses constantes transformations. L’ambiguïté louvoyante s’y fraye un cap pourtant affirmé à travers des couples complémentaires fort contrastés entre obscurité et lumière, noirceur et éblouissement, mais aussi, par exemple, figure et fond, réalisme et idéalité, illimité et finitude, platitude et proéminence, densité et légèreté, effleurement et appui, mort et vie. Cette analyse ne vaudra pas que pour l’approche singulière mais jamais stigmatisante d’un homme, d’une lucidité sans faille ni complaisance sur sa propre personne et sa destinée, à la condition réciproque que chacun de ses semblables puisse reconnaître, par-delà les avatars d’existence, la part intime commune d’une inquiétante identité partagée.