Johannes Vermeer : l’intime entre le grain des objets et de la matière

Serait-ce un hasard si des « phénoménologues » tels que
Proust, Merleau-Ponty ou Maldiney furent tant fascinés par
Johannes Vermeer ? Parce qu’ils y dénichèrent sans doute une
somptueuse illustration métaphorique de leurs principes et
efforts respectifs pour accéder aux profondeurs, à la subtilité
et l’extension d’une intimité scintillante à travers les personnages et mises en scène de ses toiles confidentielles, mais encore
plus la substance même de sa peinture, l’élection méticuleuse
des objets, des formes qui s’y distribuent et les entourent, au
sens affectueux du terme, jusqu’au grain de la matière et de la
lumière qui les nimbe.
La superposition des couleurs et leur rapport à l’ensemble
dans l’énigmatique « petit pan de mur jaune » de la Vue de
Delft, plus beau tableau du monde selon Proust, précipite le
Bergotte de La Prisonnière, modèle littéraire d’abord vénéré
puis dépassé par le narrateur, vers une sorte d’épectase esthétique où la mort du personnage se superpose insidieusement à
celle imminente et pressentie de l’auteur.
La réflexion de Merleau-Ponty aidée de Malraux sur « la
« structure Vermeer » son « langage », son « essence » son « style »
ou son « sens » dans un tableau où « cent aiguilles sur cent
cadrans indiquent la même et irremplaçable déviation » fait
écho à la condamnation d’une inexorable « errance » du re-
gard débusquée par Maldiney dans le spectacle de cette œuvre
picturale.
Une telle convergence suggère que l’intime inaccessible ne
vaut et n’existe vraiment qu’à la condition paradoxale d’être en
partie partagé. La stupidité répétitive du : « On est chez nous ! »
se heurtera bien vite à l’incursion de l’autre et donc finalement
d’un ailleurs, autrement dit, fort plaisamment pour tout un
chacun soigneusement préservé, d’un presque nulle part.