Jeux de traverses

Les équipes de travailleurs sociaux traversent des moments de grande souffrance. Contrairement à celle des patients, elle ne se lit pas sur des visages grêlés ou déformés, ne se révèle pas dans des corps empêchés ou avachis. Elle ne s’exprime qu’à mot couvert, dans la négation ou le discours indirect : « Non, je n’ai jamais pensé au suicide, c’est juste que… ». En groupe d’analyse des pratiques professionnelles, je suis traversée par cette souffrance de manière très singulière. Je me souviens du soir qui a suivi ma première séance avec une équipe en grande difficulté. Je pleurais sans savoir pourquoi, jusqu’au moment où une phrase m’est revenue : « Les autres équipes disent que notre foyer est maltraitant. » Noyée au milieu d’un discours de plainte envers le chef de service, je n’y avais pas prêté attention. Me souvenant de cette phrase, j’ai compris ma tristesse : je venais de rencontrer – et j’allais devoir travailler avec – une équipe qui maltraite des enfants. Les groupes que j’anime s’appuient sur deux médiations : l’écriture et le jeu théâtral. Ces outils artistiques sont utilisés, l’un ou l’autre ou les deux, selon le choix fait par les équipes ou sur ma proposition au moment où il me semble que le groupe pourrait profiter de ce détour. Ma communication développera les principes de ce travail en les illustrant de vignettes cliniques. Elle tentera de montrer comment l’écriture et le jeu peuvent venir traverser l’analyse des pratiques professionnelles et donner de nouveaux outils de réflexion aux équipes.