Un passage dans le mur du symptôme

Adrien Martias est né en 1901 à Terre-de-Bas, une petite île de Guadeloupe. Pendant dix ans, il traverse les mers sur un voilier comme matelot non spécialisé. Il ne le sait pas, mais sa traversée de 1929 sera sans retour. Piégé au Havre par la crise de 1929 qui le prive de son emploi, il y devient errant, vit d’expédients et s’alcoolise. Hospitalisé en urgence pour un état d’agitation d’abord attribué à l’alcool en 1932, il ne récupère pas et s’enfonce dans la confusion. Sa dangerosité est particulièrement redoutée car il est d’une force exceptionnelle. Et sa souplesse, doublée de sa grande taille, se moque des clôtures qu’il franchit sans cesse. Un passe-muraille que rien ne retient – sauf la police qui le ramène à l’hôpital, à Sottevillelès- Rouen. Un jour de 1938, brusquement, de façon complètement imprévisible, il change de méthode. Une fourchette qu’il a cassée lui en est l’occasion. Le mur, cette fois, il ne le saute pas, il le creuse. Patiemment. Que se passe-t-il pendant ce temps qu’il se donne ? Il découvre l’émergence des formes — et se découvre sculpteur ! Et pendant les cinq années suivantes, calme, apaisé, il sculpte une immense frise tout autour de lui, sur le mur où il ouvre un nouvel espace, pour une autre traversée. Jusqu’à ce que le mur se referme sur lui qui meurt de faim en 1943 — comme quarante mille malades mentaux en France.

Auteur
Béatrice Chemama-Steiner
psychiatre, psychanalyste
beatricesteiner@mac.com
Référence
RA012-13
Traversées
Journées d’Automne 2018
Catégories
Psychopathologie de l’expression
Sculpture
Cas clinique
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