« Composer le silence » ou être « la parole de l’inexprimable » ?

«Silences » ? Ce pluriel d’usage plutôt rare oblige à constater qu’il est des silences divers dans leur qualité comme dans leur nature. On s’intéressera ici aux multiples modulations du silence dans le vécu des artistes et des poètes : lourds et chargés de présages chez les uns (Edgar Poe, les symbolistes belges, Alban Berg), soudaines aphasies (Hugo von Hofmannsthal) ; silences légers et propices à la méditation aérienne chez d’autres (Friedrich Nietzsche, Paul Valéry). Simple affaire d’acoustique ? Ces silences mobilisent pourtant d’autres champs perceptifs, notamment ceux de la vue et de l’espace. Constat qui invite Stéphane Mallarmé à ébaucher une théorie du phénomène, à évoquer un « significatif silence qu’il n’est pas moins beau de composer que les vers » : bien plus qu’un simple intervalle dans un énoncé, le silence se fait porteur de « signification ». C’est l’annonce d’une révolution esthétique : pour toute une génération, le sens résidera désormais dans le négatif de la parole. Renversement des valeurs où l’expression devient relative et cède à un silence majuscule : « Ô mon Silence !… », soupire Paul Valéry. Révolution spirituelle : de perception des sens extérieurs qu’il était, le silence devient, avec Paul Valéry, expérience d’un espace intérieur. Ce dernier ne se borne cependant pas à sa dimension individuelle : une révolution existentielle s’accomplit avec Rilke, pour qui le silence se trouve à la source de toute poésie ou émission sonore, comme « fontaine » de toute relation intersubjective. À son tour Paul Celan fera le pari de l’ « Ouvert » : pas de parole authentique qui ne procède d’une plongée dans l’Indicible, dans cet envers du langage dont, pour sa part, la puissance finira par l’emporter tout entier. 

Auteur
Georges Bloess
docteur en esthétique et sciences de l’art,
professeur émérite au département d’arts plastiques, université de Paris-VIII
Référence
RA015-03
Silence
Journées d’Automne 2020
Catégories
art-thérapie, psychologie, cinéma, musique
Noms propres
Duchamp M., Hergé, Caravage M., Sadoul N.
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