Comme le dit Élisabeth Decultot dans le Vocabulaire européen de la philosophie, « Still » est un intraduisible, qui renvoie à la fois au silence et à l’immobilité. L’adjectif allemand a une histoire esthétique complexe, qui part d’un sens mystique à l’époque médiévale jusqu’à engager de célèbres débats sur la statuaire grecque au XVIIIe siècle, notamment au sujet du Laocoon : ce dernier crie-t-il ou non sous le coup de la souffrance ? Winckelmann en promeut une acception durable et discutée en qualifiant la beauté des statues en ces termes : « simple grandeur, calme sérénité » (« edle Einfalt, stille Grösse »). On s’intéressera ici à la Junon Ludovisi, que Schiller fait intervenir dans sa fameuse quinzième lettre sur l’éducation esthétique de l’homme, là où il dit que « l’homme ne joue que là où il est vraiment homme, et qu’il n’est tout à fait homme, que lorsqu’il joue ». La Junon Ludovisi — tête colossale d’une statue perdue — exemplifie la « vraie liberté du jeu », pour autant qu’elle est à distance de toutes les préoccupations et de tous les soucis, en retrait des contraintes du travail et des impératifs moraux qui constituent la vie humaine en son ordinaire. Schiller ne formule-t-il pas à cet endroit quelque chose d’essentiel sur le jeu, à savoir son rapport au silence, rapport que le psychanalyste anglais Winnicott a souligné quant à lui beaucoup plus tard, et indépendamment de tous ces débats esthétiques du XVIIIe siècle ? Il nous semble important de renouer avec ce lien, dans un contexte où le jeu est de plus en plus envisagé du côté de l’agitation, du faire et du bavardage, plutôt que du calme, de l’être et du silence.
Auteur |
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Anne Boissière professeure de philosophie et d’esthétique, université de Lille |
Référence |
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RA015-07 Silence Journées d’Automne 2020 |
Catégories |
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art-thérapie, psychologie, cinéma, musique |
Noms propres |
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Duchamp M., Hergé, Caravage M., Sadoul N. |
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