Le gris du silence

Le gris sera mon bouclier de Persée pour approcher le silence intemporel sans être médusé par les cris de l’angoisse blanche de la néantisation ou de l’angoisse noire de la mort. Un grigri pour ne pas sombrer dans la mélancolie engendrée par le silence de ceux qui nous ont quittés mais plutôt apprendre à écouter Les voix du silence (André Malraux). Pour la « créativité dépressive » (Pierre Fédida) plutôt que grisaille je dirai grisilence telle qu’on la trouve dans les nuages et les pierres de rêve, mais aussi dans la photographie et le cinéma en noir et blanc. Plutôt qu’au silence d’or je donnerai ma préférence au silence gris, paradigmatique des Vertus communes (Carlo Ossola) : discrétion, mesure, neutralité, équanimité, constance, modération, prévenance. Couleur du milieu qui supporte et enveloppe sans peser ni faire intrusion, de la présence silencieuse qui conforte « la capacité d’être seul » (Donald Winnicott), mais aussi là où s’origine la parole dans Le monde du silence . Non pas celui de Jacques Yves Cousteau, mais celui convoqué par l’ouvrage philosophique-poétique majeur de Max Picard (1888-1965) pour servir une parole d’argent fondée par la plénitude du silence. Grisilence du matin épargné par la rumeur urbaine, à l’heure où, avant de partir à son travail de photographe d’industrie, Raoul Bergougnan (1900-1982) peignait les places encore désertes et leur bruissement atmosphérique. Quand il put vivre de son art, il enseigna à ses élèves de l’atelier supérieur de peinture à l’école des Beaux-Arts de Toulouse de ne pas se fixer sur les choses mais de voir-sentir-entendre leur voisinage qui les réunit dans le maintenu séparé, comme Claude Debussy disait que « la musique est le silence entre les notes ».

Auteur
Jean-Pierre Martineau
professeur honoraire de psychologie clinique et de psychopathologie,
université Paul Valéry, Montpellier
Référence
RA015-20
Silence
Journées d’Automne 2020
Catégories
art-thérapie, psychologie, cinéma, musique
Noms propres
Duchamp M., Hergé, Caravage M., Sadoul N.
Lire l’article complet
S’abonner
Se connecter