La fenêtre d’angle de mon cousin, kaléidoscope du soi créateur

Depuis un chevet de souffrance bientôt repli d’agonie puis lit de mort, E.T.A. Hoffmann, paralysé jusqu’à la moelle par un tabes dorsalis qui le prive du geste d’écrire, dicte encore à son épouse Michaëlina. Parmi ses derniers contes, La fenêtre d’angle de mon cousin, s’efforce, dans une superbe envolée didactique, de conjuguer au passé, présent et même futur, la transmission d’un patrimoine de voyant et visionnaire au sortir d’une vie vouée à l’imaginaire. « Il te manque un oeil, un oeil qui sache voir », sermonne son fantôme de cousin impotent, tenu à résidence dans le cabinet exigu de son domicile dont la fenêtre d’angle donne sur la place du grand Marché. Tandis que le valide, encore capable de l’arpenter, n’y perçoit « que le spectacle d’une mosaïque étourdissante, d’une foule agitée sans raison », le reclus impotent, de sa lucarne, lui apprend à discriminer de belles individualités, mais aussi des appartenances sociales lestées d’histoires originales et même des personnalités avec leurs nuances singulières, leurs habitudes, leur destinée à livre entr’ouvert. Chacune de ces facettes reflète la persistance rétinienne et psychique des images d’un soi créateur mis en scène à travers le bouquet final de toutes ses démultiplications en apothéose vivace. Diffuser cette ascèse du regard dirigé tant à l’extérieur vers les autres que ramené par eux à l’intérieur de soi n’a pas seulement vocation d’hommage à son auteur, mais aussi de réveil des consciences sensibles à une authentique existence passée du solitaire au solidaire. L’oeil, d’outre-tombe, transfigure le caveau en cénotaphe, il regarde encore et convie le créateur en herbe ou en jachère à le rejoindre, à l’y rejoindre.